Salut les amis, ici c'est @fancybrothers! 

Bienvenue dans mon deuxième épisode sur la science médico-légale, une série qui a pour objectif de vous faire comprendre le rôle des médecins dans les enquêtes policières. Dans le premier épisode j'ai parlé de phénomènes qui se passent après la mort et les transformations cadavériques résultantes. Voici le lien si vous avez raté l'article.

Pour cet article, on s'intéresse particulièrement à une tâche nécessaire pour toute investigation policière, la datation des cadavres. C'est un geste très important devant tout homicide qui peut nous donner des renseignements sur l'identité du tueur ou bien l'acquittement d'un accusé, c'est au médecin de faire les examens et les prélèvements nécessaires afin de rédiger un rapport médical bien détaillé.

Contrairement aux mathématiques ou les sciences physiques, la médecine reste une science imparfaite, elle ne respecte pas forcément les normes et elle n'est pas toujours déterminée par des notions algébriques mesurables.  À l heure actuelle, malgré tout le progrès scientifique moderne,  il est quasiment impossible de dire l'heure exacte d'un décès, on parle plutôt d'un intervalle de décès,  c'est la première chose à mettre dans la tête avant de commencer. 

Quels sont Les moyens utilisés pour déterminer un intervalle de décès ?

Les méthodes thermométriques:

Après la mort, la température du corps diminue progressivement et finit par s'équilibrer avec la température ambiante. La perte de chaleur peut être calculée algébriquement après une mesure simultanée de la température ambiante et de la température rectale du cadavre après introduction d'un thermomètre souple , on déduit par la suite l'heure de la mort, malheureusement, on se trouve face à quelques problèmes. D'abord elle ne suit pas une fonction linéaire normale, c'est-à-dire le comportement de sa courbe avec le temps écoulé rend impossible une déduction simple. Le second problème est ce qu'elle dépend de plusieurs facteurs, par exemple un homme obèse ou bien qui porte des vêtements lourds perd moins rapidement de chaleur qu'un sujet maigre, un sujet exposé à un courant d'air par exemple perd plus rapidement qu'un sujet dans un endroit enfermé. Heureusement pour nous, un médecin légiste allemand appelé Claus Henssge a établi un nomogramme qui aide à une détermination assez satisfaisante de l'heure de mort et qui tient compte de facteurs extérieurs grâce à un coefficient de correction.

Exemple d'utilisation : Cadavre de 80 kg dont la température interne est de 20° alors que la température extérieure est de 10°.On trace un trait reliant la température interne de 20 °(à gauche) et la température ambiante de 10° (à droite). Ce trait coupe la droite diagonale en un point.

On trace alors une seconde droite partant du centre de la cible et passant par le point précédent. Sur l'arc de cercle correspondant à une masse corporelle de 80 kg, on lit un délai post-mortem de 20h. Sur l'arc le plus extérieur, on lit que l'intervalle de confiance à 95% est de +/- 3,2h (sans facteur correctif) ou 4,5h (si facteur correctif).

Examen du cadavre et observation à l'oeil nu: 

L'inspection est une étape fondamentale dans la datation des cadavres, les changements cadavériques suivent un ordre chronologique bien précis mais pas assez spécifique. Par exemple la rigidité cadavérique précède toujours la décomposition car la présence de cette dernière détruit les filaments d'actine et de myosine donc ça sera impossible de voir une rigidité lors du stade de putréfaction. Les signes à chercher sont bien discutés dans mon article précédent, ces sont les lividités cadavériques (apparaissent vers les 2ème heure et se fixent vers les 12ème heure), la rigidité cadavérique (muscles tendus), la putréfaction (dégagement des odeurs fétides, aspect mou); la colonisation par la faune nécrophage (des mouches, des vers...).

Actuellement, pour interpréter tous ces signes ensemble et pour éviter les confusions, on utilise la méthode de Vibert . Cette méthode simple et efficace, elle résume les observations faites et nous donne une idée générale sur l'heure de la mort en se basant sur plusieurs facteurs voire l'état du corps à l'examen, sa température, les lividités cadavériques associés, la rigidité des muscles, la présence ou non d'une putréfaction etc.

Les prélèvements corporels:

Devant un cadavre plusieurs prélèvements sont possibles (ADN, sang, liquide céphalo-rachidien etc.) mais seulement quelques-uns permettent une estimation de l'heure de décès. Les cellules humaines sont très riches en potassium (par opposition au sodium qui est extracellulaire), quand elles meurent, il y aura une libération progressive de ces ions dans le compartiment extracellulaire à cause d'une altération des membranes cellulaires, on peut doser la quantité de potassium pour estimer l'heure de la mort. Le meilleur site pour ce dosage est le corps vitré de l'oeil appelé aussi l'humeur vitrée...

L'humeur vitrée est une masse gélatineuse transparente et sans couleur qui remplit l'espace situé entre le cristallin et la membrane de la rétine située sur la face postérieure de l’œil. Il est présent dès la naissance et ne se modifie pas avec l'âge, tout le long de la vie.

Cette masse est pauvre en cellules, dépourvue d'une circulation sanguine donc il n ya pas de risque de contamination avec le potassium sérique et elles s'enrichit progressivement en potassium après la mort, c'est tout simplement le site idéal pour un tel prélèvement. On ne va pas entrer dans les détails de correction des résultats (en fonction de l'age, masse corporelle, température, état de corps) car cette interprétation est réservée aux spécialistes.

Le prélèvement des mucosités et des liquides oraux peut aussi servir, une nouvelle recherche a réussi à estimer le temps de mort seulement en dénombrant la flore bactérienne orale étant donné que ces bactéries ses multiplient activement et avec une grande vitesse après la mort. (Source au-dessous)

D'autres techniques coûteuses comme La spectroscopie RMN permet d'étudier la décomposition des tissus à l'échelle moléculaire en étudiant ses propriétés magnétiques mais elle est très peu utilisée en pratique courant (Côut élevé, indisponibilité, l'absence de formation des techniciens compétents..).

Y a-t-il une stratégie à suivre ?

Pas vraiment, la détermination de l'heure de décès n'est pas basée sur une seule observation mais plutôt sur un faisceau d'arguments. En plus, chaque médecin interprète le cadavre de sa façon propre car il n'y pas un protocole international bien établi à prendre en considération. Malgré tout le progrès, toutes les méthodes utilisées ne sont qu'approximatives, néamoins, la détermination de la température rectale reste The Golden Standard surtout pour les décès précoces. Quant aux décès tardifs, l'incertitude augmente exponentiellement avec le délai, par exemple l'invasion par les insectes nécrophages dépend de l'écosystème qui entoure le cadavre, elle n'est pas digne de confiance. En conclusion, il est important de faire un examen le plus tôt possible pour minimiser la possibilité de faire des erreurs. 

Merci beaucoup pour votre temps, l'article est terminé pour aujourd'hui, la série poursuivra, attendez moi dans le prochain épisode. Bonne journée !

Pour aller plus loin

Livre: Médecine légale judiciaire, droit médical, éthique médical pour DCEM 3 de la faculté de médecine de Tunis écrit par M.Allouche, A.Banasr, M.Ben khelil, N.Ben salah, A.Benzarti, D.Gargouri, D.Gloulou, M.Hamdoun, M kaffel, T.Larbi, S.Mrad, S.Trabelsi, S.Zhioua (Si vous voulez la version PDF, contactez moi)

L'image nommée méthode de vibert est prise de ce livre.

Liens internet

Datation des cadavres

Estimation de l'heure du décès

Methods for determining time of death.

A new model for the estimation of time of death from vitreous potassium levels corrected for age and temperature.

Oral bacteria may help forensic scientists estimate time since death.

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