Les Jours Sans Ailes • Partie 1 • Chapitre 3

C’est le grand jour aujourd’hui! Le samedi est une grosse journée pour l’expo surtout qu’il y a l’atelier studio. L’idée vient de Nico. Elle est assez simple : il installe son studio photo dans l’entrée de la galerie et on envoie par mail les photos gratuitement aux visiteurs. En général, un joyeux moment de complicité avec le public, sauf pour moi qui décharge les cartes et prends en note les adresses mail. Mais aujourd’hui, c’est différent, je vais revoir Elodie. Elle m’a promis de venir avec sa soeur.

Hier, j’ai passé la journée sur un nuage… Elle a ajouté les Echappées Belles et comme c’est moi qui gère les réseaux sociaux, il ne m’a fallu que deux secondes pour l’ajouter dans mes propres contacts. Elle ne s’est pas faite prier d’ailleurs. Pas très bavarde pour autant. Mais bon… Elle a like quelques trucs de droite et de gauche. Je lui ai bien rappelé que je l’attendais samedi. Je lui ai glissé mon numéro aussi.

Je me suis bien gardé de lui dire ce que je ressentais. En fait, je ne suis plus personne. Je n’ai qu’une envie c’est de la revoir, revoir ses yeux noirs, respirer à fond son parfum et l’embrasser encore et encore… Pour le reste, je suis un automate. Je fais ce qu’il y a à faire sans aucune motivation. Tout mon esprit est concentré et envahi par cette jeune femme.

Le cerveau commence les projections. Elle va venir en milieu d’après midi. 15 ou 16h00. C’est certain. Un délicieux et angoissant mélange m’envahit: qu’est-ce que je vais lui dire? Et sa soeur? Nico me sort de ma torpeur et m’indique que le punch fabriqué samedi dernier est aux limites. Je m’en fous à un point. Je lui réponds en souriant comme un pantin. Je réfléchis surtout à ce que je peux bien publier sur les réseaux sociaux. Pour qu’elle le voit bien sûr. J’alterne les clopes sur le trottoir et le rafraichissement de sa page sur Facebook. Rien. Aucune activité.

Toujours fidèle à lui-même, Nico veut aller déjeuner tôt pour avoir le temps d’installer son matériel dès 13h00. Il m’invite et nous déjeunons en terrasse chez Prune. Il me fait déjà le bilan de la semaine. L’expo a été un vrai succès. Une première estimation tombe : 800 personnes au vernissage. On doit totaliser 2000 visiteurs et cet après-midi, on va se faire déboiter. Il parle mais je ne l’écoute pas. Ou alors poliment. Je n’ai qu’une hâte : que cette putain de montre indique 15h00 et là le champ du possible sera ouvert. J’indique d’ailleurs à Nico que je m’échapperai quand elle sera là et qu’il lui faudra tout gérer seul. Autant le prévenir. Il n’est pas très ravi mais bon, nous sommes déjà un vieux couple alors il remballe sa colère. Lui même vit une idylle au sein de l’expo et beaucoup de choses lui échappent également. Alors on se rassure entre mecs. On a la quarantaine, des bonnes situations et en photo, notre idée est devenue l’évènement parisien à la mode… Tout roule pour nous! Une parenthèse amoureuse dans ce paysage est la bienvenue.

De retour à la galerie, nous montons le studio mécaniquement. tout est prêt pour accueillir le public. Il fait beau et les parisiens du quartier déjeunent en terrasse. Le pic d’affluence sera vers 15h00. La pression monte lentement mais sûrement. Je passe plus de temps sur le trottoir à fumer des clopes qu’à faire rentrer du public. Je suis déjà sur mon petit nuage. Dans quelques heures, je l’aurai revue…

Les heures s’enchaînent. Nico fait le photographe et moi je décharge mécaniquement les fichiers qu’il faudra envoyer au public. J’ai surtout un oeil rivé sur la fenêtre pour la voir arriver. Tous les prétextes sont bons pour aller fumer une clope et tenter de la voir apparaitre plus vite… Mais rien. 17h00. 18h00. Personne et la galerie se vide doucement. si le samedi après midi est une vraie ruche avec plus de 400 personnes, le soir est totalement vide et nous fermerons la galerie avant 20h00. Va-t-elle apparaitre?

Pour autant, je ne me vois pas lui envoyer un nouveau message. Un peu de fierté que diable!J’envoie plutôt un message à notre amie commune en commençant par prendre de ses nouvelles. Elle me répond quasiment instantanément et j’enchaîne sur la venue d’Elodie. Elle me rassure. Ce n’est pas son style de ne pas venir et elle a probablement eu un empêchement de dernière minute. L’explication vaut ce qu’elle vaut, mais elle me rassure. De toutes les manières, elle se renseignera et me tiendra au courant. 19h00. Il faut se faire une raison, elle ne viendra pas. Et j’en suis très malheureux…

D’ailleurs, comment la revoir? Je ne sais pas. je ne sais plus. Nico propose de manger sur paname avant de rentrer. Je suis d’accord et nous nous installons dans la brasserie Pierre. La place de la République est noire de monde. Nico me taquine un peu sur ma déconvenue. Mon absence pendant la journée ne lui a pas échappé. Ma tristesse non plus. Il est 23h00 quand mon téléphone m’annonce un message. « Bonjour bonjour! Désolé nous n’avons pas pu passer. Une prochaine fois peut être? Elodie »

Ce n’est pas un message mais un tsunami. Un mélange improbable de ressentis m’inonde. entre la joie d’avoir reçu un premier message et la déconvenue… Le cerveau est en ébullition. Dois-je lui répondre? Pour lui dire quoi? Ok, elle n’est pas venue et il me faut l’admettre mais elle m’a subtilement donné son numéro de téléphone. Après tout, rien ne l’y obligeait. Je suis totalement paumé. Il me faut répondre: « Bonsoir! aucun soucis. Vous pouvez passer demain! » Quelques minutes s’écoulent et la réponse tombe : « Je ne pourrai pas demain. Passe une bonne fin de soirée. »