Copie Conforme Deuxième partie : p.15

                           **Joseph    (2008)**

L’avion de Joseph atterrit à Dorval avec une heure de retard. Il avait neigé la veille et les conditions de route et de vol étaient difficiles dans toute la province. Cameron l’attendait à la sortie. Pour une raison qu’il ignorait, Joseph était resté quelques semaines de plus au Maroc.

Cameron le déposa devant un petit studio sur St-Hubert que Joseph lui avait demandé de louer avant son retour. Il pénétrait dans cette pièce pour la première fois, mais tout ce qui l’entourait − la couleur des murs, l’odeur des fonds de placard, le plancher qui craque, et le parfum de la peinture trop fraîche qui se balade dans sa bouche − tout cela lui était étrangement familier. Combien de fois avait-il écrit tout cela ?

À l’extérieur, le soleil se couchait, un mince filet de lumière orange pénétrait dans la pièce pour laisser apparaître les couleurs du prisme sur la porte d’entrée. Il ouvrit ses boîtes, une par une, chacune ramenait avec elles le parfum d’un autre monde, l’essence de millier de feuilles entassées. Un fumet invisible envahit la pièce ; une brume à l’aura mauve qui s’incrusta dans les murs, la moquette, les rideaux, le plancher, la céramique et les draps.

Sur une petite table, il déposa un cendrier, il laissa un sac de sport sur le lit qui était au centre de la pièce. Il saisit une mallette sur le sol, la déposa sur un bureau. Il l’ouvrit pour en sortir une machine à écrire Underwood. Elle était vieille et usée, mais il ne pouvait pas écrire sans elle. À l’aide d’un morceau de linge, il nettoya le cylindre. Il se dirigea ensuite vers les boîtes pour en sortir un paquet de feuilles. Il retourna au bureau, il en installa une dans le rouleau, il déposa les autres à côté. Il se dirigea vers le lit, ouvrit le sac et en retira quelques sous-vêtements. Puis il déboutonna une pochette, à l’intérieur se trouvait un petit calepin de couleur bleu. Elle lui avait offert ce calepin il y a longtemps, pour son anniversaire sans doute. Entre les pages, il sentit sa photo glisser. Il s’accroupit sur le sol pour la ramasser. Il se rappela son visage qui rougissait tout le temps, ses longs cheveux blonds frisés, ses lèvres minces, et ses yeux bleus comme le ciel juste avant que la nuit ne tombe.

Il déposa le calepin sur son bureau. Il promena son regard dans la chambre, elle était bien vide. La brume avait pris sa place, il laissa ses personnages prendre possession des lieux. Il contempla toutes ces feuilles blanches et il se demanda où amorcer ce livre.