Copie Conforme p.3

in #fiction6 years ago

Après un vol mouvementé Montréal-Boston-Louisville, un taxi déposa Cameron au Brown Hotel sur West Broadway. Il pensait encore à la lettre. Elle avait ramenée avec elle des souvenirs amers. Plusieurs d’entre eux refaisaient surface alors qu’il parcourait le hall de l’établissement. Celui-ci était majestueux, décoré avec des tapisseries et des tableaux pastichant le goût de luxe des clients du Ritz. Il y avait quelque chose de faux derrière tous ces artifices, et Cameron ne mit le doigt dessus qu’en entendant l’accent mâché du commis à la réception. Il signa sa fiche et un chasseur lui indiqua l’ascenseur. La clé magnétique sur le minibar, les bagages dans le placard, Cameron s’effondra aussitôt sur son immense lit Queen. Il était crevé, mais son esprit le travaillait. Il décrocha le combiné…
Plus tard, deux petites bouteilles de vodka vides glissèrent de ses mains, alors qu’il s’endormait repu et qu’une escorte filait discrètement vers la sortie.

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Le lendemain matin, Cameron, une cigarette en guise de déjeuner, loua une voiture et se rendit dans le Highlands District. La famille qui avait été massacrée vivait dans ce qu’on appelait ici le « Cherokee Triangle » – un quartier composé à 96 % de Blancs, appartenant à la classe moyenne. La famille était composé de Carl, le père, sa femme Louise et leur fils unique de dix-neuf ans, Denis. Ils vivaient paisiblement dans une belle grande maison unifamiliale au 910, Bardstown Road… enfin avant l’arrivée de Claude Cyriltochter.

La police de la City avait établi un large périmètre de sécurité, sans doute dans le but de garder toutes les caméras de télévision à distance. Les journalistes s’amoncelaient autour du ruban jaune en prévision du bulletin de nouvelles de cinq heures.

Ressentant un haut-le-cœur pour sa profession, Cameron se dit qu’il devrait peut-être aller voir ailleurs. Il remonta la rue avant de tomber sur l’Avallon : Fresh American Cuisine. Lieu sans doute bondé le soir par les gens du quartier, mais qui, à cette heure du matin, n’était fréquenté que par un étranger accoudé au bar.

Une employée, aux cheveux roux coupés court et dont les membres frêles débordaient à peine d’un gilet couleur aubergine, se tenait prête à prendre la commande du journaliste, accoudée sur l’autre versant du comptoir. Cameron hésita un instant, il regardait cette dernière avec insistance, l’air de vouloir savoir s’il était trop tôt pour boire. La serveuse esquissa un timide sourire avant de lui apporter un café.

– Vous êtes journaliste ? demanda la serveuse en déposant la tasse devant lui.

Cameron sourit tout en laissant son regard se promener sur l’épinglette où le nom de l’employée était tracé au crayon-feutre sous l’arche reluisante du Avallon.

– Oui…Charlie ?
– Charlie Cooper, répondit-elle. 
– Je n’ai pas l’air du coin, n’est-ce pas ? demanda Cameron.
– Ouais, dit-elle, mais tu es le premier à te rendre au Avallon.
– Ah bon, je croyais qu’Arthur m’y avait précédé, dit-il en riant.
– Oh, un ami à vous ? 

Cameron s’arrêta net en voyant que sa blague n’était pas comprise. Gêné, il prit une gorgée de café. Il était brûlant, mais agréable dans la bouche, ramenant avec lui le souvenir de l’université et des matins difficiles.
– Vous connaissiez la famille ? demanda Cameron.
– Sûr, tout le monde connaissait Carl. Il était le pasteur de l’Église épiscopalienne St.Pierre. Il venait souper chaque samedi au Avallon. J’allais aussi à la même école que Denis avant que… bien avant de travailler ici. « Un pasteur ! » pensa Cameron qui n’avait pas encore fait la moindre recherche sur cette histoire. Il pouvait bien imaginer toutes sortes de scénarios justifiant le meurtre du pasteur, mais aucun qui ne pouvait expliquer celui de sa famille. Un geste anticlérical ou intégriste peut-être? Cyriltochter croyait-il en Dieu ? Il s’en foutait : « De toute façon, j’en ai pas pour longtemps dans ce bled.» Le journaliste reprit une gorgée de café.

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