Copie Conforme p.4

in #fiction6 years ago

Deux jours plus tard, le matin de l’enquête préliminaire, Claude Cyriltochter était assis dans une combinaison orange, menotté, derrière une glace de sécurité au palais de justice de Louisville. Il ne dit pas un mot de la séance. Quand le District Attorney énuméra les accusations que l’État présentait contre lui, il ne leva même pas les yeux.

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Cameron était assis au fond de la salle. Il ressentait une étrange sensation en voyant pour la première fois cet homme. Il était beau, les cheveux blonds, un visage imberbe sur un corps de taille moyenne et dont la délicatesse des membres ne révélait en rien la barbarie commise.
Cameron écoutait d’une oreille distraite les accusations de la poursuite. Il pensait déjà à réserver un vol pour Montréal. Alors que l’audience tirait à sa fin et que le greffier enregistrait le plaidoyer de non-culpabilité présenté par l’avocat de l’auteur, le regard de Claude croisa celui de Cameron. Le visage de l’écrivain s’illumina. L’accusé se pencha aussitôt vers son avocat et lui chuchota quelques mots.
Accoudé à nouveau au bar du Avallon, Cameron réfléchissait à l’offre qu’on venait de lui faire. Il était profondément troublé. Charlie observait le visage de son nouvel ami, qui buvait le brandy qu’elle venait de lui servir.
L’avocat de Cyriltochter était venu le rejoindre à la sortie du palais de justice. L’écrivain voulait le voir. Quelques minutes plus tard, Cameron se retrouvait devant le Jefferson County Jail. L’immeuble avait plus des airs d’un stationnement à étages que d’une prison. Quoique plus tard, il noterait que l’intérieur lui rappelait les corridors d’une école. Cameron patientait sur un banc d’autobus en lisant un journal local. La une concernait un vote au congrès mettant fin au moratoire sur la construction d’une centrale nucléaire. Ce vote entérinait les résultats d’un référendum qui avait eu lieu le lendemain de l’arrestation de Claude. Le journaliste sourit en se disant que la nouvelle avait dû passer dans le beurre.

Après les formalités administratives d’usage, Cameron pénétra dans une grande pièce blanche comme une salle d’opération, bien gardée par des policiers armés et scrutée par une dizaine de caméras. Les visites se déroulaient dans ce parloir comportant un dispositif de séparation, un hygiaphone et une vitre séparant les détenus des visiteurs. En attendant Cameron, Claude feuilletait le même journal que celui-ci.
– M. Crow, dit Claude une fois assis, avez-vous déjà été en amour ?

Cameron ne savait pas quoi répondre, il ne s’attendait pas à cette question.

– Oui, bien sûr, répondit-il sans être convaincu par sa réponse.

– C’est bien ce que je croyais, se contenta d’ajouter Claude.

L’écrivain examina le journaliste avec attention, cherchant dans sa physionomie ce qui avait attiré son œil au palais de justice. Cameron était à la fois troublé et irrité, il avait l’impression d’être victime d’une mauvaise plaisanterie.

C’est bien lui, se dit Claude à lui-même. Il s’approcha de l’interphone et lui dit : « Vous direz à votre patron que je vous offre l’exclusivité… silence, je n’ai pas terminé. L’exclusivité de ma vie ou de ce qu’il en reste.»

Sa première rencontre avec Claude Cyriltochter, malgré les nombreux verres de brandy, restait d’une clarté étonnante dans la mémoire de Cameron. De cet homme émanait un mélange de familiarité et de noblesse. Il vous donnait l’impression d’être son égal, tout en vous élevant à son rang, qui semblait celui d’un de ces obscurs princes d’Orient éduqués à Oxford. Disons simplement qu’il avait un charme bien particulier et qu’il ne se sentait jamais obligé d’entretenir la conversation avec vous. Aussitôt qu’il avait terminé un sujet, il se taisait. Il n’avait pas peur du silence, et, du coup, vous vous sentiez bête de le briser en parlant du beau temps ou de quelques autres banalités. Cameron était ressorti de cette rencontre impressionné, presque admiratif, non pas devant l’écrivain, ni par ce qu’il avait d’abord cru être les manigances d’un brillant homme d’affaires, mais plutôt par la facilité avec laquelle il l’avait séduit.
Ainsi se souvenait-il de Cyriltochter avant de s’effondrer, saoul, sous les yeux de Charlie. Il ne se doutait de rien. Peut-être en aurait-il été autrement s’il n’avait pas autant bu. Si l’anticipation de la gloire et l’argent à venir (racolé par son rédacteur au bout du fil) n’avaient pas grisé Cameron, au point de ne pas apercevoir la finesse et l’intelligence de cet homme dont le geste, cette fois, n’était pas motivé par le désir de célébrité.

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Je suis fidèle... accrochée ... j’attends la suite ;)

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