Copie Conforme p.5

in #life6 years ago

Cinq jours plus tard, la première séance se déroula avec un certain malaise. Cameron ne savait pas trop comment aborder l’entrevue. Il ne voulait pas sauter tout de suite à la seule vraie question qui martelait son esprit : pourquoi avoir tué ce pasteur et sa famille ? Par contre, l’écrivain avait une idée bien précise de son projet et de la manière de le réaliser. Claude remit à Cameron un feuillet de notes en lui disant que peut-être ce récit l’aiderait à comprendre son histoire :

J’ai commencé la rédaction de tout cela avant même de savoir ce qui allait se passer. Nous sommes samedi soir, j’ai passé la veille au Miami avec X., mais il "n’y était pas". Bien sûr, j’étais seul à boire comme un trou, poudré, "coké", comme vous voudrez. La journée avait été terrible, je me remettais lentement, j’étais complètement à terre. Et me voilà maintenant encore seul. Je pense à la femme qui m’a quitté, pendant que X. me fait les poches à la recherche d’un sachet. J’ai encore envie d’une ligne, mais je n’ai plus d’argent et, de toute façon, ce n’est pas une solution.

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Comment en suis-je arrivé là ? Je suis seul avec moi-même, mes angoisses et la fin qui approche… tout a basculé du jour au lendemain, mais comment ? Je ne connais pas le beau X., mais il se penchera sur moi pour plonger sa langue dans ma bouche. Il restera jusqu’à vider mon portefeuille et j’oublierai cette femme, dos à lui et défoncé.

Cameron tentait de poser des questions à Claude sur sa vie et son œuvre. Il enregistrait le tout sur bande, mais il n’était jamais satisfait des réponses. Claude répondait évasivement ou ressassait ce qu’on pouvait déjà trouver sur le Web. Parfois, l’air amusé, il finissait sa phrase par : « …de toute façon, tout est dans mes notes.»

Les visites se succédèrent au fil des semaines ainsi que les anecdotes d’une vie dépravée que personne n’aurait pu croire être celle de cet homme. Le passé de Claude révélait une instabilité qui ne faisait peut-être pas de lui un modèle, mais qui n’expliquait pas vraiment son crime. Lentement, Cameron se mit à douter de la culpabilité de l’écrivain.

Au bout d’un mois à visiter le prisonnier, Cameron reçut son contrat d’édition que son rédacteur lui avait envoyé. Il le relisait accoudé au bar du Avallon.

– Comment le pasteur a été tué ? demanda Charlie.

Cette curiosité étonna Cameron, qui releva les yeux de sa paperasse. Les médias de la ville avaient abondamment diffusé la preuve contre Cyriltochter.

– Un couteau à viande a été retrouvé dans le salon de la famille, expliqua Cameron.

– Il y avait ses empreintes dessus ? demanda Charlie.

– Mieux que ça, le couteau reposait dans la main de Claude, qui était assis dans un fauteuil en attendant patiemment la police, répondit Cameron.

Le journaliste n’en savait pas plus. L’écrivain avait jalousement gardé son secret sur ce qui s’était passé ce jour-là. Puis, peut-être pour changer de sujet :

– As-tu de la famille ? demanda Charlie.

– Oui, mes deux parents, j’étais fils unique. J’ai été élevé à NDG, le ghetto des pauvres anglos, dit-il en français.

Cameron riait de sa blague qu’encore une fois Charlie ne comprenait pas.

– Montréal, dit-il en souriant, après le secondaire, j’ai étudié en français à l’université. Pour mes parents, c’était très important.

– Où sont-ils ?

– En Floride depuis six ans, belle vie de retraité, du moins pour mon père, qui a été syndicaliste pendant quarante ans, expliqua le journaliste.

Il la regarda amusé. Elle essayait d’établir des liens entre eux. La maladresse de cette jeune fille le séduisit. Il réalisa que son esprit avait été indifférent à cette fille d’Ève jusqu’à cette dernière minute. Derrière cette physionomie masculine, il sentait un début timide de désir. Légèrement désemparé, il ne savait pas quoi dire, car il n’avait pas eu de « vraie » conversation avec une femme depuis le collège.

Sans réfléchir, Cameron retourna la question à Charlie.

– Non, mes parents sont morts, répondit-elle, alors que j’avais six ans, dans un accident d’avion. J’avais une grande sœur, mais je ne l’ai pas vue depuis longtemps… je crois bien qu’elle est morte aujourd’hui.
En rentrant à l’hôtel, sur le conseil de Charlie, Cameron repensa au dernier livre de Claude qu’il venait de commencer à lire. Ce roman était, selon elle, très différent de ce que l’auteur avait écrit durant sa vie. Le journaliste n’y avait trouvé rien de bien intéressant, si ce n’est un intérêt inattendu pour la littérature du 19e siècle. The Law racontait le développement d’une société primitive fictive du point de vue d’un scientifique du siècle dernier ayant inventé une machine à explorer le temps. Ce savant évoquait souvent des livres tels que Illusions perdues de Balzac, Bel ami de Maupassant ou La Recherche de Proust.

Cameron ignorait le lien entre tous ces livres, mais quelque chose dans l’écriture de cet homme l’avait touché. Elle n’avait rien à voir avec les folles escapades de drogue et de sexe qu’il recueillait. Repensant à son propre passé dans les bars de sous-sol de Montréal, Cameron se demandait si c’était ce qui l’unissait à Claude.

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Une citation ... pour ce beau moment de lecture que tu nous offres @twoitguys :)

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